Les critères physiques en danse classique sont-ils trop élitistes?
Introduction
« L’étude de la danse classique n’est pas un simple passe-temps. Elle doit perpétuer et développer les grandes traditions académiques car elle ne peut être présentée sans aucune autre forme que sa pure forme académique. Elle exige plusieurs qualités : physiques et mentales, mais également un sens rythmique, musical et artistique. » Agrippina Iakovlevna Vaganova
Cette superbe définition de la danse classique démontre d’ores et déjà les nombreuses qualités qui doivent être maîtrisées par les danseurs professionnels. Je me suis dès lors demandé si cet art est réellement accessible à tous. Pourquoi la liste de critères physiques est-elle si longue ?
Dans un premier temps, je compte vous faire découvrir le monde de la danse dans sa généralité; l’apparition de cette discipline, son développement dans le monde et quelques notions fondamentales qui permettront de justifier l’exigence du milieu en ce qui concerne les aptitudes physiques.
Ensuite, j’aborderai les principaux critères physiques recommandés pour la pratique professionnelle de la danse tels que la souplesse, l’en-dehors, le cou-de-pied, le poids… J’expliquerai les raisons pour lesquelles ces aptitudes sont requises, mais également les éventuelles répercussions de ces exigences sur la santé des danseurs. Nous pourrons nous rendre compte que très peu de danseurs rassemblent l’ensemble de ces critères et nous aborderons les solutions proposées à ces artistes.
Pour terminer, nous évoquerons la présence de l’élitisme dans la danse classique. La pratique de cet art ne se contente pas de la médiocrité, il est sans cesse à la recherche de la perfection, cela explique pourquoi tout le monde n’y est pas destiné. Pour être danseur classique, il faut une morphologie et une biométrie bien spécifiques.
C’est avant tout ma passion pour le monde de la danse qui m’a poussée à choisir ce sujet. Je suis persuadée que cette discipline peut apporter tellement de bienfaits dans la vie de chacun ; elle inculque une rigueur, une discipline, une force mentale mais elle développe également l’imagination et la créativité de chacun. Désormais, cette passion m’emmène vers un projet professionnel. Je souhaite donc comprendre pourquoi la concurrence est si rude dans ce milieu, pourquoi la sélection des danseurs semble parfois injuste durant les auditions, pour moi-même, me préparer à affronter ce monde avec un maximum de connaissances.
Durant la réalisation de ce travail, j’ai eu l’occasion de rencontrer de magnifiques personnes comme Caitlin Maillé, ex-danseuse au Jeune ballet de Liège, actuellement professeur de danse dans de nombreuses académies et directrice artistique dans son école. Mais également, Edith Quignon, qui a eu une carrière des plus complètes dans ce milieu; elle a d’abord été danseuse et est ensuite devenue professeur et directrice artistique d’une compagnie de ballet professionnelle (Jeune Ballet de Liège). Elle est actuellement formatrice en méthodologie de la danse classique pour préparer au mieux la transmission de cet art au cours du temps. Formation que j’ai l’occasion de suivre à raison d’une journée par mois et qui m’aura aidée dans la rédaction de ce travail, elle m’a enrichie également d’un point de vue personnel. Vous pourrez découvrir l’entièreté des témoignages de ces deux professionnelles en annexe.
J’espère que vous aurez autant de plaisir à lire ce travail que j’en ai eu lors de la rédaction.
1. La danse classique
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient d’introduire quelques notions fondamentales de l’histoire de la danse classique et des piliers de cet art. Ces notions sont très importantes car elles sont à l’origine des exigences physiques.
1.1 L’histoire de la danse classique
Au XVe siècle, la danse classique est apparue en Italie. Grâce à Catherine de Médicis, la danse prend une place importante dans les bals et les fêtes. Le ballet se développe ensuite en France avec entre autres l’arrivée de costumes et de décors. Au XVIIe siècle, Louis XIV instaure deux académies royales destinées à la danse et à la musique. Suite à leur création, naîtra l’Opéra national de Paris. La danse classique va ensuite être codifiée et l’aspect artistique de la danse s’imposera, les danseurs voulant interpréter leur rôle comme au théâtre. La Russie hérite des connaissances et développe à son tour le ballet. Durant le XIXe siècle, l’apparition du tutu permettra de dévoiler les jambes des danseuses et ainsi d’admirer une technique plus rigoureuse. En 1832, les pointes sont créées et elles vont donc différencier la technique féminine et masculine. À cette période, on découvre en Russie les plus grands chorégraphes de ballet. Parmi eux, Marius Petipa, le créateur du « Lac des Cygnes », de « Casse-noisette », « Don Quichotte »… Dès le XXe siècle, un nouveau style de danse apparaît, le néo-classique. Celui-ci consiste à casser une règle de la danse classique (c’est-à-dire rupture de l’en-dehors, de la verticalité, du placement des bras...) Serge Diaghilev est le premier chorégraphe à introduire ce style. Actuellement, on demande que les danseurs soient polyvalents, ils doivent être capables de s’adapter aux chorégraphies classiques, néo-classiques, contemporaines…
1.2 Les grandes écoles
Après sa codification en France, la danse classique s’est ensuite développée différemment en fonction des pays. Il existe ainsi quatre grandes écoles en danse classique : la russe, la française, la danoise et l’italienne. Elles travaillent différemment en fonction de leurs spécificités. Les méthodes russe et française restent les plus connues. L’école russe Agrippina Vaganova installe en Russie un enseignement basé sur la coordination, l’endurance et la souplesse. Elle travaille différemment la musculature du dos pour permettre des levés de jambes avec plus d’amplitude. “Sans aucun doute, la méthode Vaganova aide le corps à trouver un équilibre entre la force et le poids, si celle-ci est bien enseignée » Slawomir Wozniak L’école française Suite à la codification des cinq positions par Pierre Beauchamps en 1700, la méthode française reste axée sur la précision du mouvement en travaillant sur l’utilisation des positions de base. L’école danoise Cette méthode donne beaucoup d’importance à la rapidité et à la précision d’exécution des mouvements. L’école danoise est aussi réputée pour la qualité de ses danseurs masculins car le fondateur de cette méthode, Auguste Bournonville, a décidé de donner aux danseurs autant d’importance qu’aux ballerines. L’école italienne Cette méthode, fondée par Enrico Cecchetti, a souvent développé la technique au détriment de l’élégance. La technique est développée à partir de la science du mouvement, l’anatomie.
1.3 Organisation d’une compagnie
Sur le schéma ci-joint, on observe la hiérarchie que l’on retrouve dans le Ballet de l’Opéra de Paris. La structure est relativement la même pour toutes les compagnies, mais il existe tout de même quelques variations selon le pays, la langue, la culture…
À la plus haute place, on retrouve le maître de ballet. Il est le directeur de la compagnie et se charge donc des chorégraphies, des répétitions, de la distribution des rôles pour les représentations… Au deuxième rang se trouvent les danseurs étoiles. C’est un titre suprême accordé aux meilleurs éléments de la compagnie. L’appellation « étoile » est spécifique de l’Opéra de Paris; ailleurs dans le monde on parlera plutôt de danseur principal ou soliste principal. Ensuite, place aux premiers danseurs. Ces danseurs obtiennent régulièrement des rôles de solistes dans des spectacles et attendent leur nomination en tant qu’étoile. Un échelon plus bas, on retrouve les sujets. Ceux-ci font partie du corps de ballet et sont occasionnellement solistes. Les coryphées dansent dans le corps de ballet, c’est un groupe de danseurs en arrière-plan des danseurs principaux. Ils obtiennent très rarement des rôles de solistes, mais de plus en plus de chorégraphes créent des chorégraphies mettant d’autant plus en valeur ce corps de ballet. Pour terminer, les quadrilles sont plutôt considérés comme des figurants qui cherchent à évoluer techniquement, artistiquement et à gagner en maturité ; les quadrilles étant les plus jeunes d’une compagnie.
1.4 Les fondamentaux
La danse classique est un art basé sur la verticalité, l’en-dehors et l’équilibre. La verticalité et l’en-dehors concernent le placement du corps, si ces deux qualités sont maîtrisées, on peut travailler sur l’équilibre. Le placement est la chose la plus importante en danse classique, sans celui-ci aucun mouvement ne peut être exécuté correctement. Ce placement comprend : la maîtrise de la tenue abdominale, les appuis du pied dans le sol, le positionnement du bassin et le maintien des jambes tendues… On reconnaît une chorégraphie de danse classique car elle est basée sur la croix tridimensionnelle, les mouvements occupant les axes de la longueur, largeur et profondeur.
1.5 Les pointes
Les pointes sont créées pour donner l’impression que les danseuses sont encore plus légères. Marie Taglioni est la première danseuse à danser un ballet sur pointes en 1832. Le modèle des pointes était très basique à l’époque et donc le travail très douloureux. Désormais, le modèle a bien évolué ; les pointes sont conçues pour être plus solides et plus confortables. Malgré ces améliorations au niveau du confort des chaussons, la technique des pointes reste tout de même très douloureuse. Les problèmes les plus récurrents sont les ampoules, qui sont dues aux frottements de la peau contre le chausson. Ensuite, les problèmes d’ongles ; les danseuses souffrent régulièrement d’ongles incarnés et aussi de la formation d’hématomes sous les ongles qui vont engendrer la chute des ongles.
2. Les critères physiques
« Elle n’a pas le physique d’une danseuse », qu’est-ce que cela signifie ? J’ai décidé d’analyser chacun des critères requis, par ordre d’importance, pour comprendre leurs objectifs. Ce n’est pas uniquement une question d’esthétisme, il faut étudier l’anatomie et la physiologie appliquée à la danse pour expliquer la nécessité de ces qualités physiques. Après ceux-ci, j’aborderai l’importance des aptitudes intellectuelles et de la présence artistique des danseurs.
2.1 Les critères poids/taille
On observe actuellement que la morphologie longiligne des danseuses est généralement remplacée par la maigreur ou l’anorexie. Le corps des danseuses se doit d’être élancé avec des muscles longs et de fines attaches musculaires. Ce sont des critères principalement héréditaires. Néanmoins, si toutes ces qualités ne sont pas requises, la pratique professionnelle de la danse classique reste accessible si l’on surveille le régime alimentaire des danseurs. Les critères de poids et taille pour les auditions des élèves entre 11 et 13 ans à l’école de l’Opéra de Paris Fille Garçon 11 ans Min. 1m42 – 29kg Max. 1m50 – 34kg Min. 1m45 – 37kg 12 ans Min. 1m50 – 34kg Max. 1m55 – 40kg Min. 1m50 – 40kg 13 ans Min. 1m53 – 38kg Max. 1m60 – 43kg Min. 1m53 – 45kg
Et dans le tableau suivant, voici le calcul de l’indice de masse corporelle à partir de ces données Fille Garçon 11 ans IMC (max) = 34/(1,42)2 = 16,8 Corpulence normale IMC (min) = 37/ (1,45)2 = 17,6 Corpulence normale 12 ans IMC (max) = 40/(1,5)2 = 17,8 Corpulence normale IMC (min) = 40/(1,5)2 = 17,78 Corpulence normale 13 ans IMC (max) = 43/(1,53)2 = 18,4 Corpulence normale IMC (min) = 45/(1,53)2 = 19,22 Corpulence normale au-dessus de la moyenne
Nous pouvons donc remarquer que l’école de l’Opéra de Paris exige que ses élèves soient de corpulence normale lors de l’audition, même si l’on prend les valeurs extrêmes du tableau. En sachant que la pratique intensive de la danse classique aura une grande influence sur le développement de leur corps. Selon Georges Balanchine, chorégraphe américain de renommée : « La ballerine parfaite a une petite tête, des épaules tombantes, de longues jambes, de grands pieds et une cage thoracique étroite » . Une fois dans le monde professionnel comment évolue le physique des danseuses ? Suite à une étude, l’IMC des danseuses varie entre 16,5 et 19,3 alors que celui de la population générale évolue entre 19 et 25. Interprétation de l’Indice de Masse Corporelle IMC < 18,5 kg/m² : insuffisance pondérale 18,5 < IMC < 24,9 : poids normal 25 < IMC < 29,9 : surpoids IMC > 30 : obésité
L’indice de masse corporelle de ces danseuses varie donc entre l’insuffisance pondérale et un poids normal.
Suite à une étude sur un groupe de danseuses, nous observons 3 types d’anorexie en danse classique : 4% des danseuses souffrent d’anorexie mentale c’est-à-dire qu’elles diminuent ou interrompent leur alimentation car elles refusent de se nourrir ou par perte d’appétit. 8% présentent un syndrome partiel d’anorexie et 43% souffrent d’anorexie nerveuse, cela signifie qu’elles refusent de maintenir un poids normal.
2.1.1 Pourquoi sont-ils nécessaires ?
D’un point de vue esthétique, la danse classique, c’est la grâce, la légèreté, l’élégance et une danseuse avec quelques kilos en trop les incarne difficilement. Ensuite au niveau technique, une fille en surpoids ne monte pas facilement sur pointes. Les danseuses doivent être minces car la graisse est une gêne dans l’exécution des mouvements. Principalement stockée dans les cuisses, le ventre et les fesses, la graisse risque de bloquer les articulations et donc de diminuer l’amplitude des levés de jambe. Pour préserver la santé des danseurs lors de la réalisation de portés, lorsqu’un danseur porte une fille il a l’équivalent de 5 fois le poids de la fille dans sa colonne vertébrale. C’est pour cela que dans de nombreuses écoles, les élèves de plus de 50kg sont dispensées du cours de pas de deux car elles sont considérées trop lourdes pour être portées. En ce qui concerne la taille, idéalement une danseuse doit mesurer au moins 1m60 pour faciliter le travail des pas de deux. Si la danseuse est trop petite c’est compliqué de trouver des danseurs suffisamment petits pour les accompagner, les autres étant trop grands pour la guider correctement. D’un point de vue esthétique, un danseur petit doit danser plus grand que tous les autres danseurs, c’est-à-dire, il doit étirer plus ses mouvements. Il doit aussi sauter plus haut pour compenser son décalage et donc se confondre avec les autres danseurs. Ainsi, les danseurs doivent bien se renseigner avant d’auditionner dans une compagnie, si celle-ci cherche des danseurs mesurant un mètre septante, une danseuse d’un mètre soixante-huit ne sera pas acceptée.
2.1.2 Risques et conséquences sur la santé
« C’est impossible de danser en étant anorexique. » Édith Quignon Un danseur doit certes se nourrir sainement, mais il ne peut en aucun cas tomber dans l’anorexie, il serait, dès lors, impossible pour lui de danser à un tel niveau car il n’aurait pas l’énergie suffisante. Néanmoins, il est assez courant que certains danseurs souffrent de carences car leur organisme est plus faible ou parce qu’ils n’ont pas une bonne alimentation. Dans les grandes écoles et compagnies, il y a un suivi régulier de l’évolution du poids des danseurs, c’est d’ailleurs un des critères de renvoi ; une danseuse en surpoids ou en insuffisance pondérale n’est pas considérée comme apte à pratiquer le ballet. L’anorexie a de nombreuses conséquences qui rendent la pratique de la danse de haut niveau impossible. Si une danseuse est atteinte d’anorexie, tous les muscles squelettiques et lisses s’affinent et sont par conséquent moins efficaces. Compte tenu de la faible alimentation de celle-ci, c’est l’activité entière du corps qui ralentit pour économiser des calories. Les muscles respiratoires sont aussi affectés par la perte de masse maigre. Le débit respiratoire sera diminué ainsi que le volume inspiratoire. Une fois l’alimentation rétablie, ces muscles retrouvent leur fonctionnement optimal. Au niveau du système cardiovasculaire, la conséquence principale de l’anorexie est une hypotension artérielle. En ce qui concerne les muscles lisses, les fonctions digestives sont également ralenties ; cela entraîne un inconfort personnel : ballonnements, constipation, douleurs lors de la digestion… Parmi les conséquences hormonales, il y a principalement l’aménorrhée, l’arrêt des menstruations de manière temporaire ou définitive, très répandue chez les danseuses. On remarque également l’ostéoporose, c’est-à-dire la fragilisation du squelette due à une perte de densité du tissu osseux. Plus généralement, la condition physique est diminuée : affaiblissement de l’endurance, puissance des mouvements atténuée, fatigue musculaire…
2.1.3 Anecdotes sur l’opéra de Paris
L’opéra de Paris a toujours exigé des danseuses minces, mais à une certaine époque, il demandait des danseuses avec une taille tellement marquée que les danseuses prenaient la décision de se casser elles-mêmes leurs côtes flottantes pour être plus minces, sans mesurer le danger de cet acte. Une fois la côte cassée, celle-ci peut être douloureuse et elle risque même de perforer un poumon. La direction ne réagit qu’une fois les faits dévoilés publiquement.